Translate

mardi 10 décembre 2013

Indexicalité

Le terme « Indexicalité » trouve son origine dans le mot  anglais « indexicality » qui a été proposé clairement par le linguiste Bar Hillel, dans un article de 1954, contre toute tentative pour  la « traduction automatisée absolue ». A partir de cette affirmation la question  a été reposée dans un colloque à la Sorbonne : Une machine peut-elle produire quelle que soit la phrase source une bonne traduction ?[1]. Si la bonne traduction veut dire absolue alors aucune réponse n’est encore concevable à nos jours.
Cette notion d’indexicalité a été empruntée et adaptée par l’ethnométhodologie. Les travaux  de BAR Hillel « indexical expressions » ont aboutis à des analyses de l'indexicalité des langues naturelles qui seront utilisées par Harold Garfinkel. Dans « Studies in Ethnomethodologie –chapitre 1 », Garfinkel cite également HUSSERL qui parle d’ « expressions indexicales »  au-delà de la langue des linguistes  par opposition aux expressions objectives :
« Husserl a parlé d'expressions dont le sens ne peut être décidé par un auditeur sans qu'il sache ou qu'il présume nécessairement quelque chose au sujet de la biographie ou des objectifs de l'utilisateur de l'expression, des circonstances de l'énonciation (utterance), du cours antérieur de la conversation, ou de la relation particulière, réelle ou potentielle, qui existe entre le locuteur et l'auditeur. Russel a observé que les descriptions qui comportaient des expressions indexicales ne s'appliquaient, dans chaque occasion d'usage qu'à une seule chose, et que ces choses auxquelles elles s'appliquent ne sont plus les mêmes dans des occasions différentes. De telles expressions, écrit Goodman, sont utilisées pour produire des affirmations non équivoques dont la valeur de vérité semble néanmoins soumise au changement. Chacun de ces énoncés constitue un mot et réfère à une certaine personne, à un certain moment, à un certain lieu. Mais ce mot nomme quelque chose qui n'est pas nommé par une réutilisation du mot. »[2].
Dans le même registre Alain Colon précise également que « la vie sociale se constitue à travers le langage : non pas celui des grammairiens et des linguistes, mais celui de la vie de tous les jours »[3]
Il en résulte que le langage de la vie de tous les jours doit être indexé sur les situations locales où il a été aboutit par ses acteurs. Les expressions du langage lors d’une conversation   n’ont de significations que dans le contexte auquel elles font référence et à la conditionnalité de l'énoncé par son annonceur. Le sens se construit par l’assignation de situations qui conditionne le propos  et le rend  au fur et à mesure compris et partagé par les autres membres.
Les membres de chaque village[4] partagent le code qui leur est propre et ce dernier est indexical pour les non membres. Le code est dans  toutes ces expressions du jargon technique, du verlan, des dialectes, des sabirs[5]…etc. Mais également les expressions déictiques comportent en eux  un code indexical qu’il a besoin d’être déchiffré et contextualisé. Se sont toutes ces expressions qui servent à désigner et à démontrer ce qui doit être, tel que « je », « ici » et « etc. : et cætera ». Elles renvoient également à la conditionnalité du contexte pour qu’elles soient comprises faute de quoi leur signification voulue restera en suspend, et par conséquent indécise, ce qui est loin d’être le cas dans la vie tous les jours.
« La communication est donc possible (non interrompue) parce que nous assumons que nous nous comprenons suffisamment pour que nous n’ayons pas à perturber l’interaction en nous en préoccupant de clarifier les expression indexicales »[6]

Le sens de l’action dans le discours est dans son contexte. La signification ou le sens d’un élément change d’un contexte à un autre. Le professeur Pierre Quettier, en reprenant l’expression « expression indexicale » de Bar Hillel,  propose l’explication suivante :
« Une  expressions indexicales désigne tout élément dans le discours dont le sens est susceptible de varier selon le contexte d’occurrence et qui doit donc, tel un déictique, chercher son sens dans le contexte de l’action »[7] 
Au-delà des expressions déictiques, le professeur Jean François Dégerment, dans un séminaire à Paris 8, explique que  l’indexicalité est la propriété d’un objet, un acte, un mot ou une émotion d’avoir un signe. Il rajoute que chaque signe dispose d’un nombre potentiellement infini de sens.

« Et donc il n'y a pas seulement polysémie (nombre fini de sens possibles), mais également création permanente de sens (et donc nombre potentiellement infini de sens possibles), que, jusqu'à aujourd'hui du moins, seul l'homme est capable d'interpréter et de réaliser »[8]




Cela peut être schématisé de la manière suivante : « Spain » à titre d’illustration peut  avoir plusieurs sens :
- l’arbre de  sapin
- sapin de noël
- le nom de monsieur ou madame
- ou comme dans la chanson « ça sent vraiment le sapin » référence au désespoir…
- référence aux mauvaises odeurs …
Le sens d’un signe est imprédictible et cette imprévisibilité structurelle cesse naturellement grâce à la réduction de l’Indexicalité.  Cette réduction se traduit dans les faits par le choix parmi tous les sens  disponibles dans le but  de stabiliser la signification.
Le sens d’un signe  est indicible, i.e. qu’on ne peut le dire puisqu’il va de soi-même. Si  le sens du mot « sapin » est l’arbre, cette signification suffit à elle-même car elle est supposée  évidente pour  les membres vu le contexte.  
Un objet comme symbole est un signe qui renvoie à un sens décrivant ainsi une connaissance partagée. Une alliance par exemple comme symbole décrit  l’union entre deux personnes. 

Une autre particularité de l’Indexicalité est dans les paramètres de l’action entre membres. Lorsque le chef de projet informatique demande au développeur une estimation de la charge du travail nécessaire, ce dernier demande plus de détail  sur le travail à faire. La construction des spécifications techniques étant incomplète, le développeur ne peut déterminer la charge de travail qu’il lui faut et par conséquent il interroge le chef de projet. Un aller et retour entre les membres où chacun essai de forcer son cadre contextuel. La gestion des paramètres de l’action est une préoccupation permanente des membres pour limiter le répertoire d’actions possibles. L’un ou l’autre des membres jouent sur les paramètres de l’action qui est entrain de se dérouler afin de situer sa propre action.      




[2] Les lectures utiles, Volume 2, p.9
[3] Coulon Alain,  L’ethnométhodologie, Paris, Editions Puf, 2007, p.26.
[4] Cf lexique théorique, p.xxx
[5] Du mot espagnol saber, parlée autrefois dans les ports de Méditerranée et  née de la nécessité de communiquer.
[6] QUETTIER Pierre, « cahier d’ethnométhodologie », Numéro 4 décembre 2010, Les Presses du LEMA, p.44
[7] Ibidem
[8] DEGREMONT Jean François, http://www.vadeker.net/corpus/degremont/thesejfd.htm (consulté en Mai 2011).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire