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mardi 10 décembre 2013

Réflexivité


Le langage humain qui permet  d’exprimer le  sens d’un mot, i.e. identifier sa signification dans  un cadre contextuel bien précis, renvoie  la description à lui-même :
Monsieur ou madame « Sapin » en ce sens  renvoie au mot « sapin ».  Cette relation entre le sens du mot comme signe et le mot lui-même est une relation de réflexivité. Même si le sens du mot change en fonction du contexte  il continue de  décrire le mot.
Cette même règle de réflexivité s’applique également sur les objets qui sont considérés comme signes. Dr. Jean François Dégerment nous expliquait, lors d’un séminaire à Paris8, que   La relation qui lie un objet à son environnement d’origine est réflexive. Il y a une réflexivité entre la technologie comme objet et l’environnement technique qui l’a mise en œuvre. Plus l’environnement évolue et plus l’objet évolue également. L’évolution de la technologie fait évoluer autant son environnement. Il existe une relation d’interdépendance mais aussi un caractère indissoluble de la relation de réflexivité entre l’objet et l’environnement :


Dans ce même registre, un langage machine qui permet d’écrire des programmes, spécifiques à un contexte et un besoin bien définis, se décrit lui-même. Cela veut dire que l’écriture du programme renvoie au langage de programmation. Un programme développé en C++  est écrit en langage de programmation C++. Je vois ici une relation de réflexivité entre le langage machine et le programme développé avec ce même langage. Le langage machine se décrit lui-même et il est par conséquent réflexif. 
Une autre forme de réflexivité se trouve dans le langage écrit et sa représentation intellectuelle par son auteur. Face à la page blanche comme interlocuteur passif, i.e. privé d’interactions humaines pour réduire les incompréhensions, l’écrivain se fait sa propre représentation contextualisée (située) par la pensée.   

« Pour le langage écrit nous sommes contraints de créer nous-mêmes la situation, plus exactement de nous la représenter par la pensée »[1]

L’autobiographie est un exercice qui provoque une relation de réflexivité de l’auteur avec une partie de son vécu ou son passé. Cette attitude réflexive se traduit par la prise de recul suffisant pour  représenter intellectuellement l’image de soi.
Comme pour les expressions écrites, il y a réflexivité entre les expressions orales et l’action pratique située localement. Il n’est pas évident de dire qui crée l’autre. L’action pratique influe sur la manière de dire les procédures utilisées pour son accomplissement, et l’expression de cette compréhension rend observable cette action pratique. Au fur à mesure que les expressions orales constituent l’action pratique, cette dernière constitue naturellement le langage pour décrire le sens de cette action. Les expressions orales sont indexicales et en les situant à chaque fois dans un contexte on aboutit mécaniquement à des expressions réflexives qui permettent la création de sens et par conséquent d’éliminer l’indexicalité.
« Dans le cours de nos activités ordinaires, nous ne prêtons pas attention au fait qu’en parlant nous construisons en même temps, au fur et à mesure de nos énoncés, le sens, l’ordre, la rationalité de ce  que nous sommes entrain de faire à ce moment-là »[2]  
La création de sens se réalise par l’expression orale de la pensée lors de la conversation. La situation au même temps qu’elle est décrite, elle est constituée.
« La notion de la réflexivité renvoie au fait que notre sens de l’ordre des choses est le résultat d’un processus de conversation : il est crée en parlant. Nous avons l’habitude de nous penser comme décrivant un ordre des choses existant préalablement autour de nous. Mais pour les ethnométhodologue, décrire une situation, c’est en même temps la créer »[3] 
Cette perception de sens est dans l’interaction d’un membre avec soi-même au même temps qu’avec les autres en fonction de l’accumulation de stock de connaissance issu de son environnement. Le sens s’acquière lors de ces  échanges avec les autres mais aussi à partir de sa conscience d’un ensemble de réalisations. Le regard porté sur les différents signes (objets, mot, acte, émotion) définit ma vision ouverte sur le monde. Et au même moment que cette vision constitue mon monde, elle fait que ce monde s’impose à moi. Une telle relation de réflexivité, réciproque par nature, crée un échange fructueux entre l’environnement(le monde) et l’être que je suis.
La réflexivité désigne ici une relation d’attraction  entre l’individu et le monde, et les deux s’influencent mutuellement.    
Dans la vie de tous les jours nous sommes soumis à des règles sociales: règlements, codes, l’ordre…. Lorsque  j’attends mon tour devant un distributeur automatique pour retirer de l’argent, ma position d’attente contribue à la fabrication d’un fait social localisé « file d’attente ». La file d’attente  que je contribue à sa constitution traduit  un ordre social. Il va de soi pour moi de respecter cet ordre social.  Il y a ici une relation de  réflexivité entre une règle sociale qui se fait respecter son exécution et au même temps la contribution  par un membre à sa fabrication et sa mise en évidence.  Il est difficile de savoir qui a commencé le premier : est-ce l’ordre social qui m’impose de respecter la file d’attente et cela dès mon arrivée ?- ou est-ce avec mon action pratique et grâce à mes allants-de-soi, et cela dès mon arrivée à cette file d’attente,  que je mets en évidence cet ordre social ?
Georges Lapassade décrit cette relation de réflexivité entre instituant et institué  et il explique:
 « Il n’y a pas un moment dans le temps où je serais instituant de cet ordre, et un autre où je serais institué par cet ordre que j’institue en tant que j’y participe puisque sans moi et sans ces autres moi qui attendent l’autobus, il n’y aurait pas de file d’attente. L’instituant et l’institué ne sont dissociés ici que par une description après coup ; ils ne le sont pas dans l’activité réflexive, ici et maintenant »[4]     




[1] Lev Vygotski, « Pensée et langage », Paris, Editions La dispute, Nov 1997,  p.p. 337.343.
[2] COULON Alain,  L’ETHNOMETHDOLOGIE, Paris, PUF, 2007, p.35
[3] AMIEL Philippe,  Ethnométhodologie appliquée, Paris, Les Presses du LEMA, 2010, p.23.  
[4] LAPASSADE Georges, « Les lectures Utiles – vol.1», p.77







































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